Scott Baum
Traduit par Daisy Rassart et Réjean Simard
Analyse Bioénergétique • The Clinical Journal of the IIBA, 2017 (27), 19-48
https://doi.org/10.30820/0743-4804-2017-27-FR-19 CC BY-NC-ND 4.0 www.bioenergetic-analysis.comCet article traite de certains principes relatifs à l’organisation de l’espace psychothérapeutique. Il s’agit de principes centraux et fondamentaux, nécessaires pour que cet espace fonctionne correctement. Parmi ceux-ci, on retrouve : la primauté du bien-être du patient, la capacité du thérapeute à mettre en priorité le ressenti du patient, la nécessité pour le thérapeute d’être polyvalent en ce qui concerne les dynamiques de soutien et d’engagement ainsi que d’avoir une bonne compréhension des dynamiques de sa propre personnalité et de la façon dont celles-ci pourraient s’immiscer dans l’espace thérapeutique, de savoir quand cela peut s’avérer dangereux et que faire lorsque l’intrusion est destructrice. Une perspective dérivée de principes de l’analyse bioénergétique s’est montrée utile dans l’élaboration des dynamiques de l’espace thérapeutique. Cet article décrit également les défis liés aux conditions nécessaires pour l’établissement d’un environnement fondé sur ces principes. Cette construction exige beaucoup des thérapeutes. À la fin de cet article, je suggèrerai que le fait de faire face à ces défis, ainsi que le travail nécessaire pour les rencontrer, offrent un modèle pour la psychothérapie ainsi que pour les relations humaines en général.
Mots-clés : contenir ; environnement soutenant ; réceptivité du thérapeute ; analyse somatopsychique ; espace thérapeutique
Une supervisée du programme de formation en analyse bioénergétique en Chine, me parle de son patient. Les raisons pour lesquelles il consulte son thérapeute à ce moment donné sont assez vagues. Il veut sentir son corps, ce qu’il ressent à l’intérieur de lui-même, de manière immédiate et complète. La thérapeute m’explique qu’il lui rappelle instantanément un ami, que nous connaissons tous les deux également, un homme très tendu, très renfermé sur lui-même, même lorsqu’il est en contact avec une autre personne, et dont la mère s’est suicidée lorsqu’il était jeune, tout comme la mère de ce patient.
Ce patient est venu voir cette thérapeute pour qu’elle lui fasse profiter d’une approche psychothérapeutique qui utilise également des techniques découlant d’une compréhension de la relation subtile entre la structure somatique et le processus thérapeutique en lien avec la structure psychique et ce même processus.
En l’observant, la thérapeute voit un homme vers la fin de la trentaine, grand et mince. Ses épaules sont voutées, penchées en avant, son ventre proéminent, et ses jambes, dont les genoux sont bloqués, sont raides. Son épaule gauche est visiblement plus haute que la droite. Sa tête et son cou sont enfoncés vers l’avant, de telle manière que la thérapeute compare cela à un « cou d’oie ». De manière générale, il donne l’impression de quelqu’un qui lutte pour ne pas s’effondrer.
La thérapeute lui propose des mouvements et des postures bien connus des thérapeutes bioénergéticiens afin d’intensifier l’enracinement, censés améliorer son contact avec lui-même et avec son environnement. L’objectif est de répondre à la demande du patient, à savoir de sentir davantage sa propre personne et la réalité autour de lui. Sa réaction à cette expérience de lui-même se tenant dans une posture plus alignée, activant ainsi des systèmes musculaires qui sont constamment flasques, est d’être rempli d’énergie, et en même temps bouleversé par les plus petits effets de ces mouvements lents.
Il se renferme et devient silencieux. La thérapeute lui demande ce qu’il ressent ou pense. Il répond qu’il envisage de mettre fin à la thérapie parce qu’il ne fait aucun progrès. Rien ne change. Il ajoute que, lorsqu’il se tient debout et sent le sol sous lui, il veut se sentir comme un « coq », posséder l’agressivité et l’audace de cet animal et non souffrir de l’énorme pression qu’il ressent sur ses épaules et sa nuque.
La thérapeute m’explique la difficulté qu’elle éprouve à cet instant, ne sachant choisir entre ce qui appartient au patient ou ses propres enjeux, parmi lesquels est incluse une certaine colère envers le patient. La colère ressentie par la thérapeute est le résultat du rejet de ses soins et de son aide par le patient. Nous discutons longuement à savoir si c’est le travail du thérapeute « d’amener » le patient à prendre, accepter ce qui lui est offert. Nous parlons également de la difficulté de prendre soin de quelqu’un et de vouloir que cette personne se sente mieux et devienne plus forte, et d’accepter que le thérapeute ne puisse, en réalité, ne pas y parvenir.
Je suggère à la thérapeute que la colère ressentie pourrait être composée de deux éléments. Le premier est une identification projective : le patient a partagé à la thérapeute la colère de ne pas en avoir fait assez pour ses parents (ceci correspond à des données que nous avons déjà à son sujet), et que ce qu’il leur a apporté en tant qu’enfant ne les a pas fait se sentir mieux. Le second élément est la frustration ressentie par la thérapeute de ne pas être accueillie et appréciée. Nous discutons ensuite de la manière dont le premier vecteur de colère peut se révéler utile afin de partager la mise en place de ce processus relationnel avec le patient. Le second vecteur appartient à la thérapie personnelle de la thérapeute : elle éprouve du ressentiment et de la colère à l’égard de ceux qui auraient dû s’occuper suffisamment d’elle pendant son enfance, ce qu’ils n’ont pas fait.
Au cours de la séance, la thérapeute répond correctement et de manière très efficace aux besoins du patient. En réponse à ses plaintes suivant les interventions actives, la thérapeute lui expliqua qu’il s’était tenu dans ces schémas somatiques rigides pendant très longtemps et que les briser ou y faire face générait de l’inconfort. Il est alors difficile pour lui de ressentir les changements comme naturels. Il répondit à cela qu’il n’était pas prêt à faire face aux sentiments qui suivent ces mouvements et ces changements de posture. Il décrivit un sentiment de nausée trop intense au point qu’il a de la difficulté à l’endurer.
Il fit le lien entre la nausée et ses sentiments envers sa mère. Il fit mention d’une femme avec qui il est ami depuis une dizaine d’années qui « a aussi souffert de sa famille ». Elle a un bébé et, en parlant avec elle, il se rendit compte que « ces deux premières années que l’on passe à écouter sa mère parler, en lien avec la proximité physique de sa mère, est ce qu’on appelle la langue maternelle. Si vous n’obtenez pas cet attachement, vous ne pouvez pas développer un sens d’identité ». Il expliqua que ceci lui fit comprendre ce qui lui avait manqué.
Sa thérapeute et moi-même discutâmes longuement de ce qu’impliquait le travail de thérapeute. Jusqu’à maintenant, nous en sommes arrivés à ceci : le travail du thérapeute est de créer un espace dans lequel ce patient peut se sentir lui-même, aussi profondément et complètement qu’il le peut et le souhaite. Dans cet espace, le patient peut créer une relation avec lui-même et avec le thérapeute, bénéficiant d’une liberté maximale pour l’expression personnelle, la possibilité de se reconnaître lui-même tel qu’il est dans le moment présent, et de se développer autrement, sous des nouvelles façons d’être. Le thérapeute l’accompagne dans ce processus, et organise l’espace en suivant les lignes directrices de principes très spécifiques.
Cet article traite de certains principes présentés dans cette étude de cas. Ces principes centraux et fondamentaux sont nécessaires pour l’organisation de l’espace thérapeutique. Cet article décrit également les défis soulevés par les conditions nécessaires pour l’établissement d’un environnement fondé sur ces principes. Cette construction exige beaucoup des thérapeutes. À la fin de cet article, je suggèrerai que le fait de faire face à ces défis, et le travail nécessaire pour y arriver, constituent un modèle pour la psychothérapie ainsi que pour les relations humaines en général.
Dans la pratique de la psychothérapie actuelle, contenir, soutenir, et être réceptif à l’autre sont des concepts qui décrivent les fonctions de base du processus thérapeutique. Ces termes sont souvent utilisés de façon figurative, laissant beaucoup de place à l’interprétation, ce qui permet d’y inclure divers éléments importants. Cependant, il arrive que l’utilisation d’un terme ne soit pas assez claire ou spécifique pour que l’on soit certain que les différents utilisateurs veulent effectivement dire les mêmes choses. Ceci est particulièrement important car, comme il sera suggéré dans cet article, ces termes font référence à des éléments essentiels pour la construction de l’environnement thérapeutique. Parmi les éléments inclus dans cette construction, on retrouve les caractéristiques de l’espace, autant matériel que conceptuel, ainsi que les caractéristiques de la relation thérapeutique, incluant celles du thérapeute. La méthode utilisée en analyse bioénergétique pour comprendre le processus psychothérapeutique inclut l’observation des forces énergétiques en action à l’intérieur des personnes et entre elles, et traite aussi des phénomènes psychiques et interpersonnels comme des évènements observables dans les processus et les structures somatiques. Par conséquent, cette méthode propose un prisme très utile pour observer la signification concrète de ces concepts et de leur fonctionnement dans le contexte psychothérapeutique.
Une façon parmi d’autres d’organiser le groupe de concepts et les fonctions décrites par les termes « contenir », « soutenir » et « être réceptif », est de les placer dans la catégorie des éléments qui composent un environnement soutenant. Le concept d’environnement soutenant fut développé par Donald Woods Winnicott (1958) afin de décrire la relation entre la mère et l’enfant, dont les qualités peuvent être reproduites dans des relations ultérieures. Si l’environnement soutenant initial était déficient d’un point de vue émotionnel et psychique, ce schéma sera répété dans la relation psychothérapeutique. Si le thérapeute favorise le développement d’un environnement plus sain et plus constructif que la relation parents-enfant originelle, cette situation engendre alors une possibilité de guérison.
Le cadre conceptuel représenté par l’idée d’un environnement soutenant s’est introduit dans la conscience de psychothérapeutes de diverses orientations (voir Mitchell et Black (1995), pour un développement de cette idée et de sa prévalence dans le domaine de la psychothérapie). Dans une certaine mesure, ce concept a été accepté par le public, et c’est également le cas d’une idée plus générale concernant l’importance des processus d’attachement dans la formation de la personnalité des individus, prenant naissance à l’époque contemporaine, grâce au travail de Benjamin Spock (1946), docteur en médecine. Son ouvrage sur le développement du bébé et les relations de la petite enfance est un des livres les plus lus au monde.
L’attachement forme une matrice dans laquelle une personne est ancrée, qui permet (ou entrave) le développement ainsi que l’émergence de la personnalité de l’individu. Cette perspective sur les processus formatifs, dont la dimension somatopsychique, expliquée en détails par Stanley Keleman (1985) et le rôle particulier des relations de la petite enfance, sont le produit de nombreuses influences et de nombreux théoriciens. De nos jours, les psychothérapeutes d’orientation psychodynamique acceptent généralement que l’élément clé de la guérison, dans le processus thérapeutique, est la relation thérapeutique entre chaque thérapeute et son patient. Cependant, la signification exacte de cette idée reçue reste vague. Il existe un consensus général sur certains éléments qui devraient être absolument présents dans l’environnement thérapeutique, puisqu’ils émanent de la relation thérapeutique, mais il y a peu d’explications et de détails spécifiques sur la nature de ces éléments ou sur les raisons pour lesquelles ils fonctionnent. Cet article tente d’organiser certaines de ces caractéristiques de la relation thérapeutique, qui prennent place dans l’environnement soutenant, et qui lui permettent de fonctionner comme matériau pour la guérison et le développement de la personne. Je vais également clarifier certains des défis mis en jeu, partant du principe que les idées actuellement acceptées, en ce qui concerne la nature et la fonction de la relation, sont correctes.
Une étudiante faisant partie d’une classe d’art-thérapie à laquelle j’enseignais fit un commentaire qui ouvrit une porte vers une compréhension plus profonde de la relation psychothérapeutique que celle que j’avais précédemment, ou que celles que j’avais entendues auparavant. Elle me dit qu’elle pensait que la psychothérapie était un développement évolutionnaire apparu en réponse à la forme particulière de guérison possible dans l’environnement créé par cette pratique. Son commentaire me poussa à réfléchir à ce qui rendait l’environnement de psychothérapie unique, et de quelle manière ce caractère unique pourrait faire partie intégrante de sa fonction, et, comme je le vois aujourd’hui, de son succès.
La relation psychothérapeutique n’est pas seulement une meilleure version d’autres relations, en particulier des relations parentales. Dans la relation entre le patient et le psychothérapeute, le patient est toujours, et sera toujours, au centre du processus. Il n’existe aucune autre relation dans laquelle un partenaire est le centre d’attention absolu, et dans le cas où une telle relation existerait, elle ne serait absolument pas saine. Dans toutes les autres relations humaines, il est essentiel que la relation soit explicitement mutuelle. Donner et recevoir sont des fonctions réciproques. L’interdépendance requiert que les besoins des deux parties (ou plus), composant la relation interpersonnelle, soient pris en considération et que ces besoins soient comblés de manière appropriée.
La relation psychothérapeutique est une invention humaine, comparable à une chambre hyperbare. Une installation dans laquelle une personne est placée et dans laquelle sont créées des conditions de saturation d’oxygène et de pression atmosphérique qui n’existent pas sur terre à l’état naturel. Ces conditions favorisent la guérison de certains problèmes de santé difficiles à traiter autrement, tels que les accidents de décompression ou les brûlures sévères.
De la même manière, la psychothérapie n’est pas une meilleure version de relations précédentes, ni une version idéale des relations ou quelque parangon. Il s’agit d’un type de relation unique que nous avons créé dans l’optique de réparer les dommages causés par d’autres relations. Le principe primordial de ce caractère unique est la priorité mise sur le bien-être du patient, de son autonomie, de son autodétermination et de son rôle central au cœur de la relation.
Il n’est pas naturel d’être au centre d’une relation pendant si longtemps (comme c’est le cas en psychothérapie) sans que les sentiments et besoins du partenaire (le thérapeute) ne doivent être pris en considération dans les décisions, par rapport au patient, en ce qui concerne ses actions dans la matrice de l’attachement.
Les recherches sur les nourrissons nous ont démontré le caractère crucial de la mutualité qui façonne les relations saines dans la petite enfance, même au tout début (Bowlby 1969). Il n’y a pas un seul instant où le nourrisson et ses parents ne forment pas une paire, et où la « danse » n’inclut pas les deux partenaires. Pour bien danser, avec créativité, passion et joie, de façon constructive, les deux partenaires doivent être conscients l’un de l’autre, des besoins de chacun, des limites, de ce qui a besoin d’être satisfait et de ce qui est comblé. Cet aspect de la danse n’est explicitement pas nécessaire en psychothérapie.
La relation créée à la fois par le patient et le thérapeute permet précisément au patient d’occuper la place centrale de la relation de multiples façons et aussi longtemps que cela est nécessaire pour parvenir à la guérison. Ainsi, le thérapeute ne peut en aucun cas empiéter sur le centrage sur le client pour une raison non nécessaire au maintien de la relation (frais, rendez-vous, etc.) et certainement pas pour combler les besoins d’amour, d’adoration, d’admiration, du thérapeute, ou son désir d’être suivi, servi, d’être pris en charge, ou de prendre la place centrale de toute autre manière.
Il s’agit là de l’abstention à laquelle le thérapeute doit souscrire afin de créer cet environnement unique que nous avons fini par appeler, sommairement, « l’environnement soutenant ». Une fois que cet environnement particulier est établi, les actions thérapeutiques de la psychothérapie peuvent se mettre en place. Parmi ces actions, nombreuses sont celles qui sont englobées sous la rubrique générale d’environnement soutenant. Cependant, ces actions dynamiques spécifiques possèdent chacune leurs propres structures et effets énergétiques. Par exemple, l’amour et le respect ne constituent pas les mêmes forces émotionnelles et énergétiques. Ainsi chacun des différents éléments dans l’environnement soutenant thérapeutique ne sont donc pas les mêmes. Grâce à l’attention qu’elle porte sur les processus énergétiques et à son approche pointue de la compréhension des processus somatopsychiques, l’Analyse Bioénergétique nous donne les outils nécessaires pour examiner de plus près la nature et le fonctionnement de ces éléments thérapeutiques et de leurs actions.
À présent, il semble nécessaire de se demander quel est l’objectif de la psychothérapie. Dans les formes récentes de la psychothérapie, l’accent fut tout d’abord mis sur le fait de se libérer de la répression et de laisser libre court à l’autonomie personnelle. Cette nouvelle façon de faire est liée aux changements politiques dans la civilisation occidentale, changements qui commencèrent lors du siècle des « Lumières ». Plus récemment, le centre d’intérêt s’est déplacé sur l’anxiété et la réduction de la souffrance, ainsi que sur les possibilités de ressentir des sentiments positifs.
Une façon de synthétiser ces deux positions est le concept « d’être incarné. » Ce concept est un autre exemple de la difficulté que nous avons à définir de façon plus spécifique la compréhension conceptuelle et expérientielle, bien que nous sachions d’une certaine manière, implicitement, ce que nous voulons exprimer. En Analyse Bioénergétique actuellement, « être incarné » se réfère à la capacité de soutenir des ressentis émotionnels profonds et des expressions émotionnelles intenses. Dans ce contexte, ce terme renvoie à la structure et aux capacités somatopsychiques d’une personne à contenir cette expérience profonde et à pouvoir l’exprimer puissamment. C’est en effet ce qui permet à l’expérience de s’intégrer et de se transformer. L’espace thérapeutique rend possibles les associations libres venant du corporel, ainsi que le suivi du processus d’un individu de manière très attentive, sans jugement, en acceptant tout ce qui peut survenir.
À partir du moment où la possession de soi est possible par l’éprouvé corporel, le choix est possible, et les options pour le soulagement de la souffrance, si elles existent, peuvent être choisies. Dans cette perspective, l’une des choses que la psychothérapie fait est de faciliter la capacité d’un individu à s’ancrer dans la réalité. Cela signifie être capable de ressentir et faire l’expérience des choses aussi profondément que possible, d’élargir la conscience et la compréhension que l’on a de soi-même, mais également de son environnement, et d’utiliser l’information disponible, autant qu’il nous est possible de la tolérer et de nous immerger dedans.
Grâce à cette vue générale de la psychothérapie, nous pouvons nous pencher sur les manières dont un environnement soutenant crée et maintient un espace dans lequel ce projet peut être entrepris. Le prochain point de cet article implique une analyse des éléments qui constituent un tel environnement. Il n’est pas dans mon intention d’épuiser la question. Au contraire, il s’agit du commencement d’une investigation s’appuyant sur les outils employés en analyse bioénergétique dans le but d’éclairer les éléments à la fois structurels et procéduraux qui font de l’environnement soutenant l’enveloppe thérapeutique, et d’expliquer pourquoi cela fonctionne de cette manière. J’espère que d’autres apporteront leur contribution à cette étude.
Jusqu’ici, mon analyse m’a amené à diviser les éléments fonctionnels d’un environnement soutenant en trois catégories plus générales, que j’ai nommées la capacité de contenir, le soutien et la réceptivité. Chacune de ces fonctions possède des dimensions structurelles et procédurales. Cela signifie qu’il y a des aspects de chacune de ces fonctions qui sont bâties dans un environnement soutenant performant, et que ce sont des parties dynamiques qui sont comportementales et qui sont exécutées par le thérapeute.
Contenir englobe tous les éléments de l’espace thérapeutique qui contribuent à son effet thérapeutique. Cette utilisation du terme n’a aucun rapport avec la modulation, la suppression, la restriction ou la régulation de l’affect. Elle est liée aux éléments constituants en termes matériels concrets, éthiques et professionnels, ainsi qu’aux caractéristiques du thérapeute et de l’environnement thérapeutique. D’une perspective bioénergétique, l’espace du thérapeute est une extension de son corps. Il est conçu pour contenir, ou, autrement dit, pour entourer et pour soutenir des expériences émotionnelles intenses et profondes du Soi. Certains des éléments qui composent un cadre psychothérapeutique performant sont communs à toutes les modalités psychothérapeutiques.
Parmi les éléments communs, on retrouve les éléments structurels d’un espace physique privé et sécurisant, ainsi que les éléments professionnels et éthiques tels que la confidentialité et l’établissement d’une relation selon les conventions habituelles. Il s’agit d’un engagement fondé sur la foi et la confiance que le patient a en son thérapeute, que celui-ci sera centré sur son patient et que les intérêts de ce dernier sont prioritaires. En outre, certaines caractéristiques du thérapeute sont requises pour que le cadre fonctionne correctement, comme une attitude exempte de jugement, ainsi que la capacité à respecter et apprécier le patient en tant que personne autonome. En Analyse Bioénergétique, ces caractéristiques s’étendent à un espace physique, où prennent place des expressions parfois bruyantes et inhabituelles selon les standards de la psychothérapie psychodynamique.
Elles incluent également des interventions physiques émotionnellement évocatrices qui requièrent que le thérapeute maîtrise la technique des contacts physiques directs et soit tolérant aux expressions émotionnelles qui peuvent s’ensuivre, en découler.
Un exemple clinique de ce que je veux dire par cette idée de contenir provient de ma propre psychothérapie. Voici un passage de ma thérapie longue de plusieurs années avec Michael Eigen. Un jour, il y a de cela des années, j’étais sur le lit dont il se servait à l’époque comme divan pour ses analyses, et j’étais en proie à une tension insoutenable au niveau de la nuque. C’était comme une force démoniaque et dérangeante tapie dans mon corps. Elle l’emportait sur moi, comme elle l’emporte encore aujourd’hui. J’ai dit à Mike : « J’aimerais que tu tiennes ma tête afin que je puisse crier. » Il m’a répondu : « J’aimerais aussi ». C’était un moment extrêmement important pour moi. Il ne niait pas la validité de cette manière de procéder. Il m’exprimait avec honnêteté, de ce que j’en ai compris, quelles étaient ses limites, ce que je pouvais tout à fait accepter. Ses limites signifiaient que je devais faire ce travail d’expression forte, sonore, émotionnellement intense, travail qui est pour moi une question de vie ou de mort, par moi-même, ou occasionnellement avec d’autres travaillant dans cette modalité plus corporelle. En réalisant cela, j’ai renforcé ma conviction au sujet de l’importance des caractéristiques de l’environnement soutenant dans les interventions d’expressions intenses, et de quelles façons cet environnement peut être intériorisé par les patients.
Mike a vécu des expériences personnelles en Analyse bioénergétique, et les expressions émotionnelles fortes ne semblent pas le décontenancer. Une fois cependant, lorsque j’ai moi-même commencé à produire des sons agressifs trop forts ou trop intenses, dont je ne suis pas vraiment sûr de ce qui les avait provoqués, il m’a demandé de réduire mon intensité car il avait reçu des plaintes. Je suppose qu’elles provenaient d’autres résidents. J’ai donc dû contrôler et moduler mes expressions. Je suis certain qu’il pouvait recevoir l’intensité de mon expression émotionnelle, mais je ne pouvais pas m’exprimer aussi pleinement que j’aurais pu. Heureusement pour moi, au moment où je suis venu le consulter, j’étais habitué à travailler avec des émotions exprimées explicitement avec intensité. Ma première thérapie prolongée fut avec Vivian Guze, une thérapeute bio-énergéticienne qui m’a sauvé la vie. Le travail effectué avec elle m’a enseigné comment rester présent à moi-même, en proie à des expériences intenses, en dépit des possibilités de décompensation. Encore plus important, j’avais une partenaire de vie dont la capacité à gérer les émotions intensément ressenties et exprimées excédait la mienne, et qui pouvait donc me fournir un environnement soutenant plus vaste que toute autre personne présente dans ma vie.
À vrai dire, lorsque j’ai mis fin à mes séances thérapeutiques avec Mike, qui, bien que familier et à l’aise avec le travail bioénergétique, ne travaillait pas selon cette modalité, je savais que j’aurais toujours besoin de prendre le temps d’exprimer la rage qui brûlait en moi. C’est un travail sur moi-même que j’effectue depuis des années. Crier, donner des coups de poing et frapper étaient des moyens pour moi d’exorciser, d’une manière temporaire toutefois, ce vide macabre engendré au plus profond de mon être par des mauvais traitements reçus durant mon enfance. Je ne pouvais pas terminer une séance de travail sans cela. Je devais être capable de me battre avec ceux qui m’avaient tant blessé, et je devais exprimer mes propres sentiments de haine et de sadisme. C’était pour moi le seul moyen de retourner à une certaine relation avec la réalité et d’être ancré dans le présent, même de manière limitée, mais qui pouvait m’être accessible.
Un environnement contenant, lequel est le premier élément d’un environnement soutenant, est établi lorsqu’un thérapeute crée un espace physique guidé par l’éthique et y entre, prêt à incarner les caractéristiques requises pour l’action thérapeutique. Le thérapeute se sert de cet outil qu’est l’empathie pour enregistrer ce que le patient ressent intérieurement, ainsi que ce dont il n’a pas conscience. Ayant cette situation comme point de départ, le thérapeute tente de créer un moment de rencontre avec le patient. Cela signifie accueillir le patient comme il ou elle est en tant que personne et la comprendre. C’est une tâche bien plus difficile qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas de tolérance ou de compassion, mais d’intimité, c’est à dire connaître l’autre comme il ou elle est vraiment. Ceci est le premier élément d’un environnement soutenant, et cette tâche se révèle déjà très contraignante pour nombre d’entre nous. De ce point de vue, il est inconcevable de percevoir l’autre personne (le patient) comme quelqu’un qui a besoin d’être corrigé, réparé ou ajusté. Connaître l’autre de cette manière, c’est savoir comment cette personne est devenue ce qu’elle est, et à quel point son histoire fait partie de qui elle est.
Cette aptitude s’avère relativement difficile à développer et à utiliser de façon durable. Je vais prendre le risque d’avancer qu’une grande partie des critiques adressées à la psychothérapie, parmi lesquelles sa lenteur et son manque de but précis, pour ne citer que celles-ci, viennent du fait que les thérapeutes ne sont pas engagés dans ce processus de contenir de façon corporelle, incarnée ce qui est en lien avec leurs patients. Certains d’entre nous ont trop peur des sentiments présents en eux et/ou en l’autre ; certains d’entre nous sont investis d’une manière trop narcissique dans le désir d’avoir un impact. D’autres laissent la pression exercée par leurs propres besoins de satisfaction les emmener en dehors de l’attitude requise pour contenir. Peu importe la raison, le sentiment d’errance inutile ou sans but viennent du manque de présence, et non pas d’une déficience fondamentale dans le travail. Alors, la pression de devoir produire une méthode qui fait davantage et en moins de temps constitue une réponse à une limite dans la manière dont le thérapeute se comporte et ressent, et n’est pas un problème exclusivement lié à la méthode utilisée.
La contenance regroupe une série de fonctions qui structurent l’environnement thérapeutique afin de permettre au patient de révéler et faire l’expérience de ce qui doit être révélé et ressenti, et par conséquent, de rendre l’intimité possible. Cette révélation peut revêtir de nombreuses formes. Voici une description captivante de celle extraite du travail de Michael Eigen publié en 2006 intitulé The Annihilated Self :
« Encouragée par leur qualité de contact et poussée par un besoin, cette personne vient un jour sans maquillage et se dévoile telle qu’elle est. C’était effrayant, terrifiant, nécessaire. Elle montre son soi dévasté à quelqu’un qui peut l’accepter. Non, c’est incorrect. Il se peut que Marlène [la thérapeute] ne puisse l’accepter. Elle se montre, peu importe que Marlène puisse le supporter ou non. C’est plus exact. Risquer en thérapie ce que personne ne peut supporter. » (p. 25)
Michael Eigen continue et explique quelque chose qui, selon moi, concerne la fonction spécifique et unique que la psychothérapie accomplit pour les êtres humains. Il s’agit bien de quelque chose de propre à la psychothérapie et pas seulement une meilleure version de ce que les relations devraient être. Il dit :
« La race humaine n’a pas développé la capacité de supporter ce qu’elle se fait à elle-même, la douleur que les gens s’infligent entre eux. En thérapie, on risque ce qui est trop pour l’autre, trop pour soi-même. On risque ce que personne ne peut supporter ou ne pourrait jamais être en mesure de supporter. Tout ceci entre dans la pièce et est partagé, peu importe que quelqu’un puisse l’endurer ou ne pas le faire. » (p. 25–26)
La contenance fournit l’environnement dans lequel ce qui doit être ressenti et révélé peut se dévoiler. Le thérapeute prépare un espace et, plus important encore, se prépare à rencontrer ce qu’il y a de plus vrai et de plus douloureux, de plus perturbant, de plus effrayant pour le patient. En analyse bioénergétique, créer l’environnement contenant comprend la création d’un espace physique dans lequel l’expression émotionnelle peut prendre place au niveau le plus intense, le plus manifeste et le plus évocateur possible pour cette personne. Dans le contexte de l’article de Michael Eigen, l’affect est une réponse aux dégâts, aux blessures et à la destructivité. Cependant, le même mécanisme s’applique à l’amour, au plaisir, et même à l’extase.
L’environnement thérapeutique est unique du fait de sa centration sur le patient et sur son processus. Le ressenti du patient passe en priorité. Il ne s’agit pas d’exclure le ressenti du thérapeute, mais d’une question de priorisation et de nature et de l’espace. Aucun jugement n’est donné lorsque le thérapeute s’efforce de recevoir et ressentir à la fois ce que le patient peut et ne peut pas supporter d’éprouver.
C’est comme cela que se définit la fonction de contenir dont nous parlons en tant que thérapeutes bioénergéticiens. Il n’y a aucun élément répressif. Au contraire, l’espace est sécurisé pour l’expression, quelque soit sa puissance et la capacité du patient et du thérapeute à la tolérer. La capacité à ouvrir cet espace et à y permettre d’exprimer ce qui est tolérable pour le patient est une partie des habiletés du thérapeute qui permet que l’expérience puisse être intégrée et métabolisée. Comme on est si souvent confronté à des traumatismes relationnels chroniques et aux effets durables qu’ils ont laissés, le mouvement consistant à les révéler et à les exprimer, suivi par leur intégration, est nécessairement à la fois lent et continu. Il s’agit là de la véritable nature de la catharsis : c’est une expérience émotionnelle puissante résultant en une nouvelle intégration de la conscience et de l’expérience. Elle requiert donc un espace contenant pour les émotions intensément ressenties et exprimées.
Dans son livre intitulé Holding and Psychoanalysis : A Relational Perspective (publié en 2014), Joyce Slochower décrit la fonction du soutien dans le cadre de la psychothérapie psychanalytique. Dans un exposé très élaboré, elle décrit le soutien comme une dimension de ce processus psychothérapeutique commun qui peut s’exprimer de différentes façons. Elle utilise le soutien pour désigner les conditions dans lesquelles le thérapeute minimise l’empiètement de sa subjectivité, l’« altérité » qui le différencie du patient. En faisant ainsi, on crée la possibilité d’établir une « illusion d’harmonisation analytique [en italique dans l’original] » (p. 21). Cet état permet au patient de se sentir en sécurité dans la relation thérapeutique sans être confronté au Soi du thérapeute, séparé du sien, et aux perspectives sur la réalité que celui-ci introduit dans le cadre thérapeutique.
Joyce Slochower oppose cette condition d’ajustement apaisante qui offre des possibilités réparatrices pour les expériences traumatisantes d’anéantissement, d’abandon, d’indifférence ou de dénigrement, aux fonctions interprétatives. Les interprétations constituent une forme de rencontre entre le patient et le thérapeute qui requiert que le patient se retrouve face à face avec la subjectivité du thérapeute, ses différences et son caractère distinct en tant que personne unique. Du point de vue de Joyce Slochower, le soutien représente ces fonctions accomplies par le thérapeute quand le patient ne peut pas répondre à la réalité de l’altérité du thérapeute sans que cela perturbe l’environnement soutenant de manière trop importante, ce qui pourrait entrainer l’échec de la thérapie. Selon l’organisation de la personnalité sous-jacente, la phase de soutien du traitement sera plus ou moins longue. Elle peut être courte, répondant simplement à une régression temporaire du patient nécessitant une adaptation plus douce par le thérapeute. Dans certains cas, elle durera des années à mesure que le patient s’efforce de construire un égo et une structure personnelle suffisants pour tolérer la réalité de l’identité individuelle du thérapeute, bâtissant ainsi la capacité d’amener d’autres dimensions de réalité au cœur de la rencontre thérapeutique.
Ma perception s’écarte de celle de Joyce Slochower. J’utilise le soutien pour représenter toutes les opérations qui offrent un contact thérapeutique entre le thérapeute et le patient. Ces fonctions sont offertes par le thérapeute au patient.
Prenant comme point de départ les premiers concepts psychanalytiques de l’espace thérapeutique, le soutien, dans le sens de « holding » est un élément essentiel de l’espace thérapeutique. Certaines caractéristiques du soutien sont aujourd’hui considérées comme fondamentales pour cette possibilité thérapeutique, et sont devenues des postulats de base lorsque l’on prévoit de créer un tel espace. Parmi les caractéristiques les plus importantes, on retrouve le fait de considérer le patient avec un regard positif sans jugement, de suspendre et de tenir à distance les attentes habituelles reliées aux interactions sociales, d’accepter le Soi du patient comme estimable et précieux, et de confirmer le ressenti de la personne comme intrinsèquement valable et significatif. Ces éléments constituent des énergies de soutien, elles forment des extensions de l’Être et de la présence énergétique du thérapeute. Le thérapeute « héberge » le patient (cet autre) dans sa propre conscience, comme Wilfred Bion (1959) le suggère, sans attente ni désir, afin de comprendre la personne. Lorsque cette relation spéciale entre le thérapeute et le patient s’établit, d’autres éléments de soutien peuvent apparaître. En psychothérapie bioénergétique, ces autres éléments peuvent s’exprimer directement physiquement, ce qui ajoute une autre dimension au processus psychothérapeutique.
En psychothérapie d’approche bioénergétique, le soutien peut faire référence à un contact physique direct. Les contacts physiques d’un corps contre l’autre peuvent représenter le soutien dans le but de réconforter, de contenir, de réassurer le patient et lui faire comprendre qu’il n’est pas seul, ou pour l’aider à s’exprimer. Le soutien signifie dans presque tous les cas qu’une action physique, sous sa forme énergétique tout du moins, est en train de se faire. Lorsque le thérapeute héberge le patient dans sa propre conscience, se souvient du patient, de son identité et de sa souffrance, il y a un aspect physique et énergétique à cet événement que nous pouvons identifier et étudier. Le soutien, dans ce cas, impliquera des changements chez le patient tout comme chez le thérapeute pour toutes les dimensions du processus psychique et somatique.
Un exemple concret est ce qui se passe dans le corps des individus dont la personnalité est organisée en fonction des structures du trouble de la personnalité borderline ou de la schizophrénie. Beaucoup de ces personnes ont un endroit dans le dos, derrière le cœur, le long des vertèbres thoraciques qui est ressenti comme un trou noir. Je connais ce phénomène personnellement avec certains de mes patients. Le sentiment est que l’énergie s’écoule du corps par ce trou, qui ne peut être obstrué. Quand je mets ma main pour couvrir ce trou, certains patients décrivent ce que j’ai moi-même ressenti : c’est comme si le trou était un endroit glacé, sans une once de chaleur, et que ma main fournissait de la chaleur pour la première fois, bien que le contact ait été effectué auparavant autrement. James Grotstein (1990) a écrit de manière très émouvante sur des phénomènes similaires en partant d’une perspective intrapsychique.
Afin d’illustrer cette approche en utilisant le cadre conceptuel bioénergétique, je vais proposer trois vignettes cliniques, la première partant de cet exemple du trou noir comme effet d’un traumatisme relationnel chronique précoce (Tuccillo 2012).
Eleanor est ma patiente depuis des années. Au fil des années, elle a daigné partager avec moi une version d’elle, d’enfant terrorisée. Elle était terrorisée au sein d’une famille qui apparaissait de l’extérieur et, étonnamment, aussi aux yeux d’Eleanor, comme heureuse et saine. Toutefois, l’usage abusif des enfants dans le but de satisfaire des déformations profondes des fonctions narcissiques des parents est évident, de même que la haine ignorée, alors que régulièrement exprimée, et la compétitivité vicieuse envers les enfants. Eleanor, qui a très bien réussi dans la vie, m’a de plus en plus permis d’être le témoin de cet enfant maltraitée, et de soutenir sa souffrance au premier plan, même lorsqu’elle se débattait dans ses tourments, accusée de la méchanceté pour faux reproches envers ses parents.
Patiente expérimentée, Eleanor se guide elle-même dans les réalités intérieures de son enfance. Je dois aussitôt soutenir ses sentiments conflictuels et ambivalents. Si elle est en mesure aujourd’hui de valider la réalité de sa propre expérience, elle souhaite simultanément la désavouer. Elle veut que je vienne m’assoir à côté d’elle, mais, pour la première fois, exprime aussi son ambivalence à ce sujet. Une expression, comme celle-ci, serait impensable dans sa famille d’origine. Elle devait être disponible tout le temps, et de toutes les manières possibles pour ses parents et leurs besoins, à tel point qu’elle s’occupe d’abord et principalement de leurs besoins psychiques et émotionnels. Se sentir ambivalente était un trop grand signe d’autonomie. Si elle exprimait son ambivalence, ou toute autre forme d’autonomie, ils l’abandonneraient pour la punir.
Elle décide alors de continuer et m’invite à m’asseoir à ses côtés tandis qu’elle est couchée sur le ventre, le visage contre le lit. Elle me demande de poser ma main sur son dos, juste en dessous de sa nuque. Une longue conversation s’ensuit. Elle me pose alors des questions qui, je le sais des sessions précédentes, sont fondées sur son expérience de la haine (principalement inconsciente) de sa mère envers elle. Est-ce que j’éprouve du dégoût à la toucher ? Est-ce douloureux pour moi ? Est-ce que les sons qu’elle produit me font éprouver du mépris à son égard ? Suis-je dégoûté par sa faiblesse et son ignorance ? Ma réponse est « Non » à chacune de ces questions. J’ai créé un environnement soutenant où mes propres difficultés à gérer les sentiments et états qu’Eleanor traverse n’empiètent pas sur notre relation.
Elle me dit : « Je suis dans un endroit sombre et froid. Je peux être ici et là en même temps ». C’est, à vrai dire, la première fois qu’elle admet ce fait. « Oui », dis-je, je sais que ce qu’elle dit est vrai. Alors qu’elle pleure de douleur et de terreur, je suis là pour la soutenir dans cet endroit froid, même si personne n’était là avec elle quand on l’y a jetée pour la première fois. Je la soutiens par ma présence, par mon toucher, soutenant ainsi ses sentiments ambivalents et sa terreur d’être abandonnée là. Mon contact physique est un élément crucial du soutien. Quand la fin de la séance approche, nous devons nous dégager lentement de ce contact afin qu’elle puisse se soutenir elle-même, avant de retourner à sa réalité quotidienne.
Jack est un homme plus âgé, vers la moitié de la soixantaine. Il s’est engagé avec moi, depuis cinq années environ, dans une psychothérapie profonde qui transforme son existence. Il y a chez lui, deux symptômes persistants qui le tourmentent et le font souffrir : une anxiété profonde, et une peur excessive de la critique lorsqu’il enseigne ou lorsqu’il présente son travail alors qu’il est un scientifique et un chercheur professionnellement accompli. Il présente également une irritabilité constante envers sa deuxième femme qui est, à ce qu’il en dit et selon ce que j’ai pu constater au cours de séances de couple, effectuées avec eux avant de commencer le travail individuel avec lui, une personne mature et attentionnée, le traitant bien et avec respect. Au cours d’une séance, ces deux thèmes surgirent ensemble, et les associations qui en résultèrent éclairèrent un aspect de leur origine dans sa relation avec sa mère. La façon dont le travail s’effectua illustre une autre dimension du soutien reliée à l’environnement soutenant.
Ce jour-là, Jack vient me parler de l’obsession qu’il avait pour le peaufinage d’un poème qu’il avait écrit. Cela ne lui ressemble pas. En général, il n’est pas perfectionniste, en ce qui concerne son travail créatif, comme il l’est avec ses présentations professionnelles, qu’il a besoin de faire approuver et dont il redoute les critiques qui pourraient influencer négativement son expérience. À mon sens, ses efforts d’auto-expression semblent activer des éléments de sa relation avec sa mère. Alors, je lui dis qu’il doit faire les choses parfaitement afin qu’elle (sa mère) se sente bien dans sa peau. Il espère qu’elle lui offrira ensuite des louanges et de la reconnaissance qu’il pourra, par la suite, transformer en regard positif envers lui-même. Et je lui dis qu’il est très dépendant de sa mère pour parvenir à générer quelque regard positif sur lui-même.
Ça lui rappelle une visite récente faite à sa mère, qui demeure dans une maison de retraite. C’est une femme irascible, très critique en ce qui le concerne, et pourtant, il est dévoué à ses soins. De plus, elle est très dépendante de lui. Lors de cette visite, elle était en train de manger dans la salle commune au moment où il arrive. Sa femme, qui l’accompagnait lors de cette visite, lui conseilla d’attendre qu’elle ait fini de manger avant de s’approcher d’elle, sachant, je suppose, ce qui allait probablement se passer s’il n’attendait pas. Jack me raconte qu’il ignora « stupidement » le conseil de sa femme et s’approcha de sa mère. À ce moment, sa mère commença à « paniquer », d’une manière qu’il dit n’avoir jamais vue auparavant. Elle s’arrêta de manger et il lui fallut un moment pour l’aider à se calmer.
La discussion autour de cet événement l’amène à considérer qu’il était venu près d’elle, à ce moment donné, avec l’intention inconsciente de la perturber. Il y pense comme une possibilité, mais il est incapable de le ressentir. Il ne parvient pas à ressentir la rage qu’il croit être là, en-dessous d’une couche de tristesse provoquée par la réaction de sa mère envers lui. Jack a l’habitude du travail actif et émotionnellement expressif, et lorsqu’il entre dans des expressions de négativité profonde, on peut clairement percevoir sa force. En dépit de son âge et de son apparence qui, en surface, semble quelque peu effondrée, avec sa poitrine affaissée et ses épaules tombant vers l’avant, une autre réalité somatopsychique plus profonde émerge et peut être aperçue lorsqu’il est plus chargé énergétiquement.
Je lui demande s’il veut essayer de trouver, par des mouvements, les sentiments qu’il croit présents mais qu’il ne peut ressentir. Il me dit que oui et il essaie. Souvent, lorsque Jack commence à respirer profondément, il fait l’expérience de mouvements semblables à un haut-le-cœur spasmodique profond accompagné de sons explosifs et forts, portant des émotions de colère et de souffrance. C’est ce qui se passe au début, lorsqu’il est debout, qu’il plie les genoux et intensifie sa respiration. Connaissant l’effet qu’a sur lui le fait de frapper avec ses poings, je lui suggère cette approche. Au début, les deux coups qu’il porte aux coussins se trouvant sur le lit en abaissant les deux bras sont puissants mais ne sont pas empreints de beaucoup d’émotions.
Cela ne ressemble pas à Jack. En général, il trouve assez rapidement ce dont il a besoin et ce qu’il veut pour exprimer sa négativité et n’a besoin de mon soutien que pour faciliter l’expression. Cependant, cette fois, je vois qu’il a besoin de davantage. En utilisant ma voix, je l’encourage à s’accrocher au sentiment et à l’amplifier, ainsi qu’à utiliser sa propre voix. Lorsqu’il lui est difficile d’amplifier sa voix et d’intensifier la rage et, en fin de compte, la haine qui s’y trouve, j’augmente le niveau de ma voix, et je fais également des bruits. J’observe la façon dont mes vocalisations de colère gutturales soutiennent les siennes, offrant une portée plus longue à son expression. Je le soutiens avec ma présence, ma voix et mon intention dans l’expression de son indignation, de son outrage, de sa rage et de la haine envers l’usage que sa mère fait de lui. Car l’utiliser comme elle l’a fait, sans exprimer quelque gratitude en retour, n’est rien de moins que de l’exploitation.
La prise de conscience de cette exploitation est activée par cet événement. Jack commence à réaliser que c’est là l’état chronique des relations entre sa mère et lui. L’expression de sa colère n’est pas une façon de vider un réservoir de sentiments. Il ne s’agit pas seulement d’une manière de se décharger d’émotions qui s’étaient peu à peu accumulées, c’est également un moment dans leur relation pendant lequel sa douleur, son incompréhension, sa colère envers elle, provoquée par la manière dont elle l’a traité lorsqu’il était enfant, peuvent être organisées sous la forme d’expressions, aussi complètement et profondément que lui et moi pouvons le tolérer. Heureusement pour moi, il est encore loin des limites de ma tolérance pour ce type d’expérience et l’expression de ces sentiments. Je peux donc continuer à le soutenir alors que nous traversons les couches et les formations reliées à la relation développée avec sa mère, et qui persistent encore aujourd’hui dans sa vie à d’autres niveaux.
J’ai travaillé avec Paul durant une courte période, il y a de cela des années. Paul était un homme qui se trouvait à la limite de comportements manipulateurs et d’autoglorification, ne réussissant toutefois pas à trouver le succès dans sa vie, ou du moins, pas à l’époque où il me voyait. Il était presque complètement réfractaire à toutes mes interventions, dont la plupart visaient à défier ses schémas caractériels. Parmi ses défenses se trouvaient les rationalisations, dont il se servait pour rejeter la faute sur d’autres ou justifier les erreurs qu’il faisait, en blâmant ou en omettant des choses à dire.
Il me raconta cependant un événement important de son enfance. Il vivait dans une grande ville, dans un quartier de maisons unifamiliales modestes dont beaucoup possédaient un petit jardin à l’avant, la plupart du temps clôturé. Un jour, lorsqu’il était tout petit et que personne ne le surveillait, il se promena, sortit par la porte ouverte du jardin de sa maison et fut heurté par une voiture qui passait devant. Il fut emmené à l’hôpital, bien qu’il ne fût pas sévèrement blessé. Il raconta cette histoire avec le ressentiment que cela se soit produit, mais sans indice que c’était en lien avec un schéma de négligence ou de manque d’attention de la part de sa famille. Je m’étais dit que cela pourrait le représenter, mais mes efforts pour lui faire part de cette éventualité n’éveillèrent aucun intérêt en lui.
Un jour, il me dit qu’il avait l’intention d’aller voir une prostituée. En adéquation avec ce que j’ai décrit précédemment, à savoir, la qualité de non-jugement inhérente au fait de contenir, de garder en soi, fournie par l’environnement psychothérapeutique, je n’ai pas pris position pour ou contre l’action qu’il suggérait. Toutefois, en adoptant cette attitude sans penser plus loin et avec davantage de nuances, j’ai fait une grave erreur. Paul avait l’intention de faire cela à une époque où le public prenait conscience de la transmission du SIDA par voie sexuelle et des risques que comportaient des relations non protégées avec des partenaires qui avaient eux-mêmes eu des partenaires multiples.
Quelques semaines après la confession de son désir d’aller voir une prostituée, Paul vint me voir. Il me dit qu’il avait effectivement eu des relations avec une prostituée et ajouta qu’il avait pris la décision de mettre fin à la psychothérapie avec moi. Il me dit que j’aurais dû l’avertir des risques et lui recommander d’utiliser un préservatif, en lien avec les connaissances sur les dangers liés à un tel comportement. Étant décontenancé, et n’étant certainement pas sûr qu’il avait tort, j’essayai d’enquêter avec lui sur la signification que pourrait avoir mon échec. Cependant, il s’était déjà fermé, comme il l’avait toujours fait. Il ne ferait plus de liens importants avec les thèmes ou modes de fonctionnement de sa vie. Je m’étais trompé et il allait s’en aller.
Après cela, j’ai commencé à creuser mon échec, la manière dont il l’a ressenti, ce que j’ai ressenti, et ce que cela pourrait représenter d’un point de vue plus large que juste en lien avec ce patient. Ce que j’en ai compris, c’est que j’avais agi comme les membres de sa famille, ne parvenant pas à le retenir de faire des choses dangereuses. Tout comme sa mère qui avait laissé la porte du jardin ouverte, je n’avais pas réussi à le garder dans ma conscience, à tenir son bien-être en tant que priorité en moi, et à agir pour créer une barrière qui aurait empêché le dommage. Ces éléments font également partie du soutien qui prend place dans l’environnement soutenant quand les fonctions de contenance de l’environnement ont été mises en place. Cet évènement mis en scène créa pour Paul l’opportunité de provoquer une situation où il se sentirait négligé par moi, et de l’utiliser afin d’ouvrir une voie à ses sentiments envers moi, sa famille, et lui-même. Toutefois, il se ferma à cette possibilité, tout comme cela s’était produit avec sa famille, et mon échec et sa colère ne menèrent à aucune nouvelle solution.
Paul me tint responsable de ne pas avoir évalué le danger pour lui, alors qu’il aurait pu lui aussi le faire. Il ne s’en est pas blâmé. Tenir quelqu’un responsable, que ce soit soi-même ou quelqu’un d’autre, est un état du corps. C’est une position nécessaire lorsqu’on se « tient debout » et que l’on se confronte, soi-même, ou quelqu’un d’autre, aux conséquences d’un comportement. Ceci deviendra un élément essentiel de l’environnement soutenant afin de comprendre l’importance de la réceptivité dans la relation thérapeutique.
Joyce Slochower parle avec émotion de la pression résultant du soutien dans la relation thérapeutique. Que ce soit dans le sens plus strict qu’elle emploie ou la façon plus large dont je le décris, cette pression est indéniablement vraie. Elle existe même lorsque la ou le thérapeute est libre d’être davantage elle-même ou lui-même parce que le patient est capable de répondre sainement et constructivement au fait que ce thérapeute ait une personnalité qui lui est propre. La pression induite par le fait de se centrer constamment sur le patient, de maintenir une conscience constante et même une vigilance dans le chef du thérapeute face à ses intentions et ses sentiments, sont des actions terriblement exigeantes.
Cela est vrai parce que beaucoup dépend des compétences du thérapeute et de son engagement à faire tout cela. Le patient met sa vie entre nos mains, d’un point de vue psychique, émotionnel, et parfois même physique. Dans d’autres relations, un lien de mutualité et de maturité se développera entre les partenaires, où plein de soins, d’attention, et de prises de décisions seront partagés. Dans la relation thérapeutique, ce ne sont pas des éléments nécessaires. À vrai dire, la relation psychothérapeutique a été créée pour guérir les dommages endurés à la capacité de maturation chez le patient et on ne peut juger des possibilités de guérison qu’une fois que le travail thérapeutique est engagé.
Cette pression occasionne inévitablement des échecs. Il arrive que le thérapeute ne parvienne pas à un ajustement, face preuve d’un manque de compréhension ou d’expérience, ou même d’un agir induit par des sentiments ou des attitudes contre-transférentielles qui blessent et qui causent des dommages au patient. C’est vers la dimension de ce qui fait que la relation psychothérapeutique est un processus de guérison que nous allons maintenant nous tourner.
Dans le cadre de la recherche clinique continue visant à comprendre les pouvoirs de guérison de la relation psychothérapeutique, la psychanalyse relationnelle s’est développée et a proposé un point de vue étonnant. Se fondant sur des idées découlant du féminisme, relatives aux relations interpersonnelles et à la psychothérapie, les théoriciens relationnels considèrent que toutes les relations sont intersubjectives. Cela signifie que les partenaires construisent chaque relation de manière unique. Tous les membres de la relation sont de valeur et d’égale importance, et la dépendance est une caractéristique de la relation qui émane de chaque membre et qui circule entre eux. Dans cette matrice relationnelle, les personnes se connaissent au travers de communications directes et conscientes. Elles se connaissent également au travers de l’interconnexion de leur Soi inconscient, se partageant l’un avec l’autre et s’accueillant mutuellement au travers des instruments psychiques et émotionnels divers. L’empathie, la projection, l’identification, et la sympathie en sont des exemples. À cela, les thérapeutes bioénergéticiens ajouteraient les notions telles que la transmission des états énergétiques liés au fait d’exister et de ressentir, lesquels sont reçus par divers canaux somatopsychiques : les états corporels, les constellations de sensations et d’émotions qui sont étudiées pour leur complexité.
La réceptivité à l’autre personne, à ce niveau d’ouverture et de vulnérabilité, est ce qui permet de contacter un savoir sur la personne pouvant être amené ensuite à la surface. Ce savoir à un niveau aussi fondamental comble un besoin de développement qui est, en soi curatif. Cela permet également au psychothérapeute de continuer à créer des moments de soutien qui répondent aux besoins de guérison, de rétablissement et de création de limites du patient.
Cette manière de comprendre le processus psychothérapeutique soulève de grandes questions. Joyce Slochower attire l’attention sur ces défis lors d’une entrevue dans une édition récente du magazine New Therapist (mai-juin 2016). Elle y parle de la perspicacité de certains de ses patients et du fait qu’ils parviennent à saisir certains aspects de ses réactions bien qu’elle tente de les garder hors du champ interpersonnel (un procédé qu’elle appelle « bracketing », ce qui signifie « mettre entre parenthèses »). Elle ajoute que, pour parvenir à « mettre entre parenthèses », le thérapeute et le patient doivent tous les deux s’y engager. Le thérapeute essaie de protéger le patient de certains aspects de lui-même qui pourraient perturber la direction de la résonance sur laquelle elle ou il est engagé. Le patient, quant à lui, coopère en faisant abstraction de sa conscience de ces caractéristiques révélées par le thérapeute.
Ceci ressemble à des méthodes pour protéger la primauté du bien-être du patient dans l’espace thérapeutique, comprises auparavant, et visant à restreindre l’incidence des besoins, des attitudes, ou des élans destructeurs du thérapeute. Les principes de neutralité, d’attitude dépourvue de jugement, d’abstinence du thérapeute à répondre à ses propres besoins sont tous des éléments créant et préservant un espace et une présence thérapeutiques favorables. Cependant, d’un point de vue bioénergétique, une fois qu’on a introduit l’idée d’interconnexion des processus énergétiques inconscients, la tâche visant à maintenir le caractère inoffensif de l’espace, pourtant déjà très compliquée, se complexifie encore davantage. Si le noyau de l’identité du thérapeute est inoffensif, sinon bienveillant, les choses seront sans doute plus faciles. Mais que se passe-t-il si ce n’est pas le cas ?
Il s’agit là d’un terme un peu « brutal » à introduire ici, et certains lecteurs le considèreront peut-être comme antithétique par rapport à une attitude de réceptivité. Il n’est cependant pas antithétique en ce qui concerne la fonction dite de réceptivité, qui est la capacité à voir et à sentir l’autre. La psychopathie est une déformation narcissique. Il s’agit d’une compensation pour des dégâts sévères infligés au système d’estime de soi d’un individu. Selon le niveau et l’étendue des dommages, l’individu ne peut pas maintenir une image positive de lui-même, ou, dans le pire des cas, ne peut pas développer les bases du Soi et d’autres éléments : l’admiration, l’appréciation et l’idéalisation. Si le thérapeute n’a pas de système durable et flexible d’estime de soi positive, ce qui pourrait avoir une influence négative sur le Soi, le besoin de rétablir l’approbation peut déformer la capacité du thérapeute à maintenir l’environnement décrit précédemment. Cela peut déformer, sinon corrompre l’environnement contenant dans lequel les opérations de soutien peuvent être menées à bien dans l’intérêt du patient.
Dans la compréhension actuelle des liens interpersonnels, appliquée au processus psychothérapeutique, les échecs du thérapeute sont inévitables et nécessaires. Ces erreurs d’harmonisation et de résonance, ou même de perte de centration sur le patient dans la dyade, sont considérées comme des opportunités pour le patient de trouver une histoire similaire enterrée au plus profond de lui d’échecs qui l’ont blessé plus tôt dans sa vie et de les ressentir à nouveau. Les erreurs fournissent également une occasion de résoudre autrement un problème interpersonnel avec un partenaire (le psychothérapeute) qui met en priorité le bien-être du patient, le maintien et le soutien d’une attitude positive envers toutes les parties de manière juste, même s’il faut pour cela risquer de confronter des aspects peu attrayants et négatifs du patient.
Ces conditions sont toutefois difficiles à maintenir. Dans son livre sur la psychopathie (2006) disponible en ligne, Michael Eigen décrit la prévalence des compensations psychopathiques dans le comportement humain. Dans un article intitulé « Immoral Conscience » (1991), il parle de la façon dont l’omniscience, le besoin de se représenter comme omniscient en permanence, est l’ennemi d’une empathie saine. Bernhard Brandschaft (2010) attire l’attention sur ce problème spécifiquement pour les thérapeutes. Il les met en garde contre la tendance à être tellement investi dans les théories et des idéologies privilégiées que la capacité de saisir le patient comme une personne unique en devient compromise.
À quel point est importante la question des échecs des thérapeutes dans le maintien de l’élément le plus crucial de l’environnement soutenant : à savoir de maintenir la centration sur le bien-être de leurs patients ainsi que leur protection, la reconnaissance et la réceptivité pour la subjectivité unique incarnée dans chaque patient ? Des articles écrits par Muriel Dimen (2014) et Charles Levin (2014) apportent des réponses. Dans son article, Muriel Dimen parle d’un « lapsus linguae », un glissement de langue. Elle révèle un épisode au cours duquel son thérapeute, qu’elle appréciait beaucoup, et envers lequel elle éprouve beaucoup de gratitude, glissa sa langue dans sa bouche au moment où il l’entourait physiquement, dans le cadre d’une longue thérapie qui s’avéra cependant très positive pour la patiente. Le thérapeute ne reparla jamais de ce « dérapage », et elle non plus. Même lorsqu’elle écrivit cet article, longtemps après la mort de celui-ci, elle décida de ne pas mentionner son nom. D’une manière ou d’une autre, elle contourna la transgression, même lorsqu’elle expliqua que l’erreur de celui-ci était considérablement aggravée par l’erreur supplémentaire de ne pas évoquer cet écart par rapport aux limites qui représentait l’introduction du besoin du thérapeute et, ensuite, la satisfaction de celui-ci à ses dépens. Dans une présentation élaborée à partir de ce travail, elle invite les thérapeutes à trouver un forum pour discuter entre eux de ces erreurs concernant le maintien de l’environnement soutenant, comme je le nomme dans cet article. En réfléchissant à sa suggestion, j’ai réalisé à quel point cela serait difficile à mettre en place.
Charles Levin élargit le débat des transgressions des limites, limites qui sont nécessaires afin de maintenir un environnement soutenant convenable dans le cadre de la formation institutionnelle en psychothérapie. Son article fait partie d’un volume dédié aux thèmes de l’abandon et de la trahison dans une relation analytique. À mes yeux, il s’agit de l’article le plus vivant et « impénitent », détaillant les violations dans le cadre de relations de dépendance. Plusieurs des articles présents dans ce volume traitent d’autres sujets, par exemple, du décès précoce de l’analyste. Toutefois, même parmi ceux relatant les comportements inappropriés des thérapeutes menant à la trahison de l’engagement thérapeutique et à la rupture de la relation, sa voix retentit comme un clairon singulier dans l’identification de la rationalisation individuelle du thérapeute et de la fuite devant la prise de responsabilité d’une part, et de la complicité institutionnelle qui couvre les transgressions et leur importance d’autre part. Cela me rappelle quelque chose qui m’est arrivé en tant que thérapeute, lorsque j’avais en traitement quelqu’un, aussi un thérapeute, qui était l’enfant d’un psychothérapeute de renom. Cette personne dépeignait ce parent, dans des termes horribles, comme un individu abusif et centré sur sa personne. Cela me semblait crédible. Lorsque j’en parlai avec mon thérapeute, sa réaction fut suffisamment évasive pour que cela ressemble à une apologie pour le thérapeute-parent ; ce qui fut assez décevant pour moi. Je ressentais le besoin d’une dénonciation retentissante du parent. Il se peut que la raison pour laquelle j’avais besoin de cette dénonciation, fournisse un exemple personnel de la question qui me tourmentait diablement (sans mauvais jeu de mot, puisque le diable constitue un élément pertinent de ce débat) au sujet de l’influence du thérapeute dans la « soupe » énergétique, interpersonnelle, psychique et émotionnelle qui compose la relation thérapeutique.
Ma réalité en est une d’extrême. Des conditions extrêmes ont été utilisées tout au long de l’histoire de l’humanité afin d’approfondir la compréhension de phénomènes plus normatifs. Les horribles lésions cérébrales, conséquences de guerres présentes et passées, nous ont permis de mieux comprendre le fonctionnement du système nerveux central. Les effroyables brûlures ou les dégâts causés par la plongée ont mené au développement de technologies et techniques pour faire face à ces types de lésions et les traiter. De la même manière, l’exposition des cliniciens aux dégâts permanents de l’âme, de la psyché et de la vie émotionnelle causés par un traumatisme relationnel chronique, façonne tout ce que nous faisons avec nos patients, y compris nos patients dont la souffrance est moins exhaustive, dont les dégâts infligés au Soi sont moins sévères, et donc chez qui la capacité de guérison est plus importante, que ce que je ne peux reconnaitre face à moi-même.
J’ai décrit, de manière plus détaillée dans d’autres articles (Baum, 1997, 2007, 2014) une bonne partie de ce que j’ai vécu dans ma vie et de ses effets, dont je vais parler maintenant. Afin d’exposer mon point de vue ici, disons que j’ai été détruit psychiquement et émotionnellement par ma mère et par les personnes autour d’elle, qui étaient folles et malveillantes, qui se sont immiscés dans mon corps et dans mon esprit. Ces personnes se laissaient dominer par des impulsions, des fortes envies et des sentiments qui n’étaient pas neutralisés et portés par des corps d’adultes. Mon père, qui, à la toute fin, me sauva de tout cela, bien après que le mal soit fait cependant, me demanda inconsciemment que je m’accorde sur la narration égocentrique qu’il faisait de ce qui s’était passé. Il voulait laisser croire qu’il m’avait sauvé, que j’étais guéri et qu’il avait fait de moi un enfant émotionnellement sain.
Déformer ainsi la vérité de ma propre expérience, sous la menace de perdre son approbation et qu’il pourrait autrement m’oublier, m’abandonner ou me renvoyer chez ma mère, si je faisais autrement, signifiait pour moi perdre toute connexion avec ma vérité et ma réalité. Cette requête de mon père, ajoutée à la destruction qui avait façonné mon être profond, ainsi qu’à une identité fusionnée avec celle de mon père, incluant des déformations narcissiques sévères, en plus des attaques de mes deux parents dirigées vers moi, qui cherchaient un exutoire à leur haine vicieuse envers les hypocrites moralisateurs qui les avaient blessés, ont détruit en moi la capacité de développer les fonctions narcissiques et structures nécessaires pour l’estime de soi. Comme Otto Kernberg (1975) le décrit dans ses études fructueuses sur les organisations des personnalités borderline et schizophrène, le problème pour ceux d’entre nous qui vivent dans cet univers n’est pas d’avoir une faible estime de soi, mais de ne pas en avoir du tout.
L’estime de soi est, de manière relativement littérale, l’admiration de soi et le sentiment de se sentir bien avec soi-même. Une estime de soi saine est construite sur la capacité à se confronter à des aspects négatifs de sa propre personnalité, les intégrer et les métaboliser, et agir de manière responsable et appropriée en réponse à ces découvertes pour enfin revenir à une relation positive avec soi-même. Quand les structures fondamentales qui soutiennent ce mécanisme sont détruites, le besoin de reconnaissance positive en vient à dominer la vie intérieure, et la quête désespérée d’un moyen d’étancher cette soif de reconnaissance devient le moteur de ses comportements. Il ne peut exister aucun sens moral sans ce mécanisme d’autocorrection provenant d’une estime de soi saine. En outre, le désir insatiable de soulager le fait de se détester, qui accompagne la destruction des systèmes de l’amour-propre, déforme la perception des autres considérations à prendre, dans le cadre des décisions relatives face à nos comportements et les relations avec les autres.
Il existe de nombreuses descriptions de personnes structurées de cette manière dans l’histoire de l’Homme, en littérature comme au théâtre. Par coïncidence, une description très acerbe dans un article écrit par Jane Mayer (mai 2016) dans le New Yorker Magazine me revient à l’esprit. Dans cet article, l’auteur dressait le portrait de Tony Schwartz, nègre littéraire de Donald Trump, pour le livre intitulé The Art of the Deal. Tony Schwartz garda des notes détaillées de ses contacts avec son sujet pour lui-même. Quand on l’interrogea sur son opinion de l’homme, il dit un nombre de choses importantes et pertinentes par rapport à notre compréhension de la façon de fonctionner de quelqu’un pour qui le besoin de reconnaissance positive comme principe structurel central de sa personnalité.
Tony Schwartz dit à propos de Donald Trump : « Mentir est une seconde nature chez lui. Plus que toute autre personne que j’ai rencontrée, il a la capacité de se convaincre que, peu importe ce qu’il dit et peu importe le moment, ce qu’il dit est vrai, ou en quelque sorte vrai, ou, tout du moins, devrait [en italique dans le texte] être vrai » (p. 23). Ce mécanisme fait partie des effets déformants de l’omniscience. Tony Schwartz ajoute que Donald Trump est entièrement stimulé par un besoin d’attention publique, à tel point que tout ce qu’il fait a pour objectif d’attirer « la reconnaissance extérieure, toujours plus grande, de la part de plus de gens, toute une série de choses qui ne mènent nulle part en particulier » (p. 23). Finalement, Tony Schwartz perçoit Donald Trump comme un individu motivé par « une faim insatiable d’argent, de gloire, et de célébrité » (p. 24). Sa conclusion sur Donald Trump est la suivante : « Il vit dans un trou noir » (p. 24). Les dégâts collatéraux que cela cause sont ces effets somatopsychiques incluant l’annihilation du Soi et de l’identité, et, comme je peux le distinguer plus clairement maintenant, des fonctions narcissiques.
Je me reconnais parfaitement dans la représentation que fait Tony Schwartz de Donald Trump. Ma famille, mes amis et mes connaissances trouveraient cela incroyable, à moins d’avoir partagé avec eux ma connaissance de ce que je suis intérieurement. Je sais que c’est vrai. Un exemple concret est un commentaire qui me fut adressé il y a de cela des années par ma défunte épouse qui m’aimait, m’admirait et ne m’aurait souhaité du mal pour rien au monde. Elle me dit que je pouvais commencer une phrase dans un sens et la terminer dans un tout autre sens, complètement opposé. Elle attira mon attention sur le fait que dans ce cas la réalité, les faits, les opinions, les attitudes, tout est fongible, interchangeable, tant qu’il s’agit d’accaparer le centre d’attention et d’avoir la possibilité d’obtenir de quoi nourrir le narcissisme, que ce soit de l’admiration, du respect, de l’adoration, de l’idéalisation, ou de l’idolâtrie.
On dit que le pouvoir corrompt. C’est en partie parce que le pouvoir est relié au sentiment de se sentir quelqu’un de bien. Avoir le pouvoir, c’est avoir de la force, de l’énergie, et la capacité de faire des choses ou de réaliser des choses. Il est lié à l’instrumentalité, telle que très bien décrite par Ron Robbins (1978) dans son travail sur le caractère psychopathe de type « limb » en raison de la faiblesse paradoxale de ses « membres », notamment de ses bras. Il est également lié au fait d’assumer ses responsabilités. David Shapiro (1965) décrit la relation entre le désaveu de la responsabilité et la formation des défenses du caractère psychopathique. C’est très difficile d’assumer la responsabilité de ses actes si cela a pour conséquence l’effondrement dévastateur de la coquille de l’égo bâti sur des ressources narcissiques. Elles ne peuvent être métabolisées dans les structures somatopsychiques permettant aux tissus de se gonfler d’orgueil et briller d’inspiration. Dans Narcissism and Power, Hans-Jurgen Wirth (2009) montre la manière dont la déformation des mécanismes narcissiques apparaît dans la vie publique.
Ce qui corrompt vient de l’utilisation du pouvoir pour son propre intérêt, aux dépens des autres. L’avidité est certainement un élément central, tout comme l’envie ou les tentatives désespérées de recueillir la reconnaissance. Ce type d’admiration peut aller aussi loin que ressentir un besoin d’ « être » le Dieu de l’Ancien Testament, étant au centre de tout, à tout moment, et d’en faire le référent de base de sa vie.
Je reconnais que la plupart des psychothérapeutes ne sont pas aussi touchés que moi par ce problème. Plusieurs en sont probablement juste un peu. Ils possèdent sans doute des Soi métabolisés et organisés, et autres représentations telles que la faillibilité inévitable et la confusion morale inhérentes à tous les êtres humains. En tant que cliniciens, ils ont peut-être appris à recevoir, accepter et travailler avec les réactions critiques de leurs patients envers eux, même ceux qui ont une perception correcte des déformations narcissiques du thérapeute, de ses limites ou de ses erreurs. J’ai été obligé de créer un Soi qui était en mesure de fonctionner comme si je vivais dans l’univers habité par ces personnes. Cependant, comme Dimen et Levin essaient de mettre en évidence, le problème de la transgression des limites par le thérapeute afin de satisfaire son propre intérêt est un problème commun. Certains théoriciens, notamment Harold Searles (1965), ont fait de ce point un principe central dans leur travail, afin d’aiguiser la conscience des impulsions, attitudes et sentiments destructeurs du thérapeute envers son patient.
Comme je l’ai écrit dans un article au sujet de l’identité double (2014), j’ai « bricolé les morceaux d’âme » qui avaient survécu aux attaques dirigées contre moi, l’idéalisme projeté de mes parents et de leurs Soi à l’égo idéal, et les âmes qui m’ont été prêtées par d’autres (principalement par ma défunte femme, mes enfants, mes thérapeutes, mes amis, mes patients) et j’ai consciemment développé un Soi déterminé et mobilisé. Du mieux que je le peux, ce Soi incarne les principes et valeurs de bonté. Le lien entre le plaisir et la bonté est aujourd’hui exprimé dans la théorie de l’Analyse Bioénergétique (Baum, et al. 2010). Toutefois, le Soi sous-jacent, comme je me connais, s’est construit autour d’un noyau de malveillance, de vengeance, de folie, et ne peut prendre part à ce plaisir dans la bonté. Le mépris et le dédain, ainsi que leurs effets corrosifs, sont au centre de mon corps et de mon identité, et constituent une menace pour tout attachement.
Je suis parfaitement conscient des manières dont l’intérêt propre s’immisce dans les relations. Je peux dire que j’en suis parfaitement conscient, d’une part parce que je me connais, d’autre part à cause de la mission que s’étaient fixés mes parents, à savoir de l’éradiquer chez tout le monde, et de dénoncer l’hypocrisie et ceux qui se leurrent. Mon père le fit alors qu’il couchait avec beaucoup de ses patientes, embrassant une théorie proposée par Martin Shepherd dans son livre The Love Treatment (1971), et se sentant ensuite scrupuleux parce qu’il « ne couchait pas avec les grosses ». Il m’a raconté ça après que je suis devenu un psychologue clinicien qualifié ! Dans ce cas, mon besoin d’être enveloppé dans son être, le seul endroit sûr que j’ai jamais connu, (tout aussi dangereux qu’il se révéla être pour mon âme), combiné avec mon besoin de fusion complète et d’identification avec lui. La meilleure description du résultat que cela a eu sur moi se trouve dans des termes énergétiques tels que l’évanouissement, une perte de possession de soi et un abandon à l’emprise d’un autre. Cette approbation imposée de ses comportements déraisonnables était à la fois un résultat de mon incapacité à m’inscrire dans la réalité, mais également elle l’exacerba.
Le fait de s’inscrire dans la réalité, dans ses manières les plus complètes, nuancées et subtiles, est une chose nécessaire si les thérapeutes veulent se pencher consciencieusement sur les comportements transgressifs, les leurs ou ceux des autres. Ici aussi, une perspective bioénergétique aide à comprendre les dynamiques du processus d’investigation et les défis que cela comporte. Une fois encore, je vais me prendre encore comme cas d’étude. Je sais que bon nombre des patients de mon père bénéficièrent de ses soins, bien que ce ne soit pas le cas de ceux qu’il agressa sexuellement. Quand je me mis à réfléchir au fait qu’il agressait des patients sexuellement, ma conscience se scinda. Je peux dire, catégoriquement, que je sais que ce qu’il avait fait était mal. Cependant, le fait de savoir n’est pas homogène. Dans un des aspects de scission dans mon être, mon corps et ma psyché, avec lequel je suis très familier, je sais d’un point de vue cognitif et éthique que ce qu’il dit ne se rationalise pas. Toutefois, mon estomac et mes instincts ne suivent pas cette conviction. Je sens cette conviction glisser hors de moi, bien que je sache à d’autres niveaux que j’ai raison et qu’il avait tort. J’ai travaillé ce phénomène sur moi pendant très longtemps. Je comprends le processus énergétique qui soutient ce phénomène, comme partie intégrante de la transformation nécessaire du Soi, que cela a exigé de moi, pour sécuriser mon attachement immortel et adorateur envers mon père. Je sais également qu’il s’agit d’une manifestation de ce qui m’avait été fait, clairement énoncée lorsque Mike Eigen m’a dit « Ton cœur et tes tripes psychiques ont été arrachés ».
D’un point de vue bioénergétique, il s’est passé quelque chose au niveau de mes tripes. Il n’existe aucune méthode pour étudier le processus cellulaire utile pour comprendre cela. Toutefois, la fonction éthique et morale neutralisatrice des réactions instinctives a été annulée. Il s’agit là d’un tourment particulier de savoir, avec une telle certitude, que ce que mon père avait fait était mal, que ce soit envers ses patients ou envers moi, et d’être privé de ces sensations au niveau des intestins et de cette force morale « intestinale », cela m’a permis de me dresser contre lui et le dénoncer, lui et son comportement, sans être ébranlé par cet intérieur en décomposition.
Cette expérience me donne un aperçu de la difficulté à laquelle nous devons faire face quand nous nous efforçons d’identifier les comportements transgressifs alors que cela menace notre relation avec nous-mêmes et notre amour-propre, ou que cela menace nos relations avec des personnes importantes pour nous, que nous voulons et avons besoin d’admirer, à qui nous avons besoin de nous identifier, et par qui nous avons besoin d’être admirés.
Certains thérapeutes à qui j’ai parlé du comportement de mon père n’ont pas, au début tout du moins, réussi à générer une réaction suffisamment indignée pour m’aider dans le maintien de ma propre indignation à laquelle j’ai dû faire face et à relâcher toute la pression passée. Cela ne peut pas être seulement une réaction découlant d’une règle. En tant que thérapeutes, nous devons être sensibles à l’impact que les transgressions et violations ont sur nos patients. Il s’agit là d’un sujet délicat. Chaque jour, les journaux nous montrent à quel point la rationalisation de la prédation et de l’exploitation est chose courante dans le monde dans lequel nous vivons. Cependant, à un niveau microsocial, ce comportement prend naissance au cœur des familles et des communautés qui les entourent.
Si le concept de réceptivité signifie être capable de recevoir les éléments toxiques et destructeurs de nos patients, cela semble assez clair. Si nous émettons l’hypothèse qu’il existe une guérison au sein d’un environnement relationnel intersubjectif et que cet environnement comprend un mélange de matériel inconscient et d’énergies émotionnelles provenant du thérapeute et du patient, alors mon expérience de moi-même me dit que nous sommes sur un terrain miné qui peut s’avérer très dangereux. Il nous incombe à nous thérapeutes de développer des méthodes afin d’examiner notre propre psychopathie. Même lorsqu’on a la chance d’être pourvu d’un noyau du Soi fondamentalement inoffensif, notre irréductible humanité garantit l’intrusion dans l’environnement soutenant de sentiments destructeurs et égocentriques, et au moins certains actes occasionnels.
La solution ne réside pas dans le ressenti de sortes de scrupules névrosés et ultimement bien-pensants, mais dans l’introspection. En développant cela comme un principe et une méthode afin de résoudre ce problème, nous pouvons montrer la voie dans notre domaine mais également dans le monde qui nous entoure. En aiguisant, affinant, plongeant dans les manières dont la négativité, l’avidité, l’envie, et les compensations narcissiques du thérapeute peuvent déformer l’environnement soutenant, on parvient à développer une méthode pour le préserver. En parler entre nous et dans le monde est une mission : celle de transmettre la connaissance durement acquise qui découle du travail difficile de la de psychothérapie afin de pouvoir mettre en œuvre ces connaissances dans des relations de dépendance de toutes sortes.
La connaissance technique en analyse bioénergétique est le développement d’un ensemble de compétences nécessaires afin de savoir comment initier, ajuster et maintenir l’environnement soutenant. La possibilité d’ajouter le paramètre du contact physique entre le patient et le thérapeute apporte de nouvelles dimensions à l’environnement soutenant. En analyse bioénergétique actuellement, ainsi que dans d’autres types de thérapies expressives, l’objectif de cet environnement est de permettre de se rapprocher de la liberté d’expression absolue sans risquer de blesser. Le but de l’analyse bioénergétique actuelle est de créer un environnement soutenant ayant une dimension de durabilité aussi large que possible que le thérapeute est en mesure de gérer. Cet objectif inclut le défi pour le thérapeute, de se confronter à la rencontre la plus directe et profonde avec elle-même ou lui-même jusqu’à la limite de ce qu’il est capable de supporter.
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Scott Baum, docteur en psychologie (American Board of Professional Psychology ou ABPP), est un psychologue clinicien et un analyste bioénergéticien certifié résidant et travaillant à New York. Il fait partie de la Faculté Internationale, et est l’ancien président de l’Institut International d’Analyse Bioénergétique (IIBA).
Remerciements :
L’auteur est reconnaissant pour le temps, l’énergie et les efforts mis en œuvres par de nombreuses personnes ayant lu, réagi et commenté cet article, particulièrement Garry Cockburn, Vincentia Schroeter, Danita Hall, Ron Panvini et Pascale Baes. Non seulement leur aide fut très utile, mais leur soutien afin que je continue de rédiger cet article fut essentiel. Mes remerciements vont également à la Société Israélienne d’Analyse Bioénergétique (ISBA) et à leur parrainage pour une présentation publique, qui a permis le processus du développement de ces idées.